Si l’architecture et le design sont deux strates connectées dans la réalisation d’un projet, le graphisme ajoute une dimension nouvelle en interaction avec les deux autres. Les solutions qui émergent de ces départements intégrés apportent la singularité de chaque projet.
La force d’une équipe multidisciplinaire collaborative est notamment de pouvoir répondre aux demandes non conventionnelles. «Et elles arrivent souvent!», s’exclame Lorelei L'Affeter, directrice artistique de Humà Design + Architecture. «Œuvres pour balcons, typographie urbaine, interventions artistiques, wrapping complet de foire alimentaire, murales prothétiques pour des hôpitaux, portes interactives, etc. On est quand même loin des modèles de présentation!»
«Pouvoir intégrer une équipe de création complète de métiers connexe est une vraie chance! Autant pour les projets que pour les membres de cette équipe: chacun grandit et se nourrit les uns les autres. Il n’y a pas de barrière entre nos différents domaines, juste des ponts de possibilités», ajoute Émilie Gadel, Designer industriel de la firme.
Narration, repère et compréhension de l’espace
«L’intégration du graphisme dans l’espace est une manière de traiter l’environnement pour l’être humain et de l’informer. Ainsi, nous pouvons pousser le projet dans un narratif qui n’avait pas un langage facilement compréhensible. Le graphisme amène quelque chose qui n’est pas traduit autrement dans l’espace bâti. En travaillant le narratif dans la volonté de qualifier et d’informer l’être humain, on se rend compte du pouvoir du dessin et de la représentation graphique. Ça amène l’espace à un autre niveau», dit Stéphanie Cardinal, architecte, présidente de Humà Design + Architecture.
La cohérence de la signalétique d’un projet comme la Tour des Canadiens 2 est à la base de sa réussite. Dans ce cas, il ne s’agissait pas seulement d’imaginer une signalétique pour une tour d’habitation, mais de créer un langage visuel pouvant se déployer d’un espace public à un espace semi-privé, reliant une station de métro, une place publique, des espaces communs et des numéros d’habitations.
Bien que chaque espace où la signalétique prend vie a sa propre identité, le travail graphique permet de leur donner un lien tangible, de les ancrer dans une continuité visuelle et de les entrecroiser. L’hybridation des espaces tel qu’on l’observe bénéficie ainsi de l’intégration du graphisme en amont du processus créatif.
Concrètement: quel est le processus?
Il est essentiel de conduire les discussions conceptuelles en amont en incluant tous les corps de métier. On oublie un échéancier qui stipule architecture, puis design intérieur, puis graphisme. L’idée est de favoriser des échanges ouverts et des regards neufs. Cette démarche permet au graphisme de prendre une vraie dimension de conception spatiale, hors de l’aspect cosmétique qu’on lui attribue facilement.
«Qu’est-ce qui empêcherait que le graphisme prenne le lead artistique d’un projet? Un graphiste n’a aucune idée préconçue en architecture, et peut venir casser une routine, s’il ne vous amène pas complètement ailleurs!», commente Lorelei L'Affeter.
L’inverse est vrai également. Organiser un concours de dessin entre architectes pour les prémisses d’un logo, pourquoi pas? Cette vision synthétique différente de celle du graphiste enrichit les propositions.
Typographie et signalétique hors du commun
Une thématique visuelle résultant d’une collaboration entre designer d’intérieur, graphiste et designer industriel permet de naviguer entre les échelles. Une signalétique, transposée en luminaire sur mesure par exemple, peut guider les choix du design intérieur et évoluer selon le contexte.
Un jeu de glyphes peut faire toute la différence dans l’espace. Par exemple, la signalétique de la Tour des Canadiens 2 se distingue par sa complexité et la minutie de ses détails. Elle est composée d’un jeu distinct de deux typographies à empattements. Les polices sélectionnées, conçues pour des supports imprimés, présentent des particularités uniques. Par exemple, des ligatures sophistiquées qui viennent composer un glyphe unique avec deux lettres. La transposition de tel caractères au format physique et tri-dimensionnel est un défi rarement entrepris en signalétique qui ne doit pas être pris à la légère et demande, là encore, une collaboration étroite avec les experts en charge de leur réalisation et installation.
Des pictogrammes naissent ainsi des deux polices retenues: les lettres démembrées sont recomposées en images, renforçant l’unicité de lecture. Les lettres deviennent le point de départ de déclinaisons qui mènent à la conception d’objets visuels uniques. Que ce soit le travail du pictogramme, le positionnement de la flèche directionnelle ou encore le travail du bloc de texte, tous émanent de l’usage amusé, mais réfléchi du petit glyphe qu’est la lettre.
«Maintenant, on réfléchit autrement avec l’avènement des émoticônes. C’est devenu quasiment un langage à part entière», affirme Lorelei L'Affeter. Considérer l’habillage graphique et la pictographie en amont du processus est d’autant plus important.
Murale prothétique
Autre exemple de l’apport du graphisme à l'aménagement: Humà a élaboré un prototype de murale «prothétique» qui aide les personnes à déficit cognitif lourd, atteint par exemple d’Alzheimer, à stimuler leurs acquis restants: la lecture, la vision en différents plans, ou encore le toucher. Découvrez le projet du Centre d'hébergement Saint-Joseph de Levis dans cet article.