Le patrimoine bâti agit comme témoin de notre manière d’habiter le territoire.
«Il s’agit d’un élément aussi riche que la langue pour définir une culture», affirme Anne Vallières, architecte spécialiste du patrimoine de STGM. «Le patrimoine démontre comment les gens se sont implantés sur un territoire avec des caractéristiques naturelles données. C’est un témoin de la créativité humaine, et de notre capacité à nous adapter.»
Une évolution constante du patrimoine bâti, de l’architecture et de l’urbanisme enregistre ainsi les innovations qui se présentent au fil du temps. Le patrimoine dévoile un processus d’essai-erreur et une évolution des solutions optimales en fonction des technologies disponibles.
«C’est riche d’apprentissages. Le patrimoine nous permet de prendre les leçons du passé et de les adapter à nos besoins», ajoute Anne Vallières. «C’est aussi sa limite. Lorsqu’on voit le patrimoine comme un objet qui ne peut pas être transformé, on dénature son utilité. Il faut reconnaître les qualités de l’objet architectural devant soi et comprendre jusqu'où on peut le transformer sans perdre son identité.»
Au-delà du bâtiment: des paysages en danger?
Un moment critique pour le patrimoine? La perte d’usage ou la vente de la propriété. Le nouveau propriétaire n’a pas nécessairement le même attachement que l’ancien occupant à la richesse du lieu. Par ailleurs, une perte d’usage entraîne la détérioration possiblement irréversible du bâtiment.
Viollet-le-Duc, architecte du 19e siècle, le déclarait: la meilleure façon de préserver le patrimoine est de l’utiliser.
STGM exprime certaines craintes quant à la préservation des éléments du paysage rural et agricole québécois, dévalorisés et souvent abandonnés.
Par exemple, le paysage idyllique de l’île d’Orléans, tend à être dénaturé, comme les granges disparaissent les unes après les autres. Plus qu’un bâtiment en particulier, c’est la valeur de l’ensemble du paysage qu’il convient de considérer dans cette situation pour la richesse du patrimoine.
Un exemple intéressant à suivre serait l’Ensemble Blanchette au Parc Forillon en Gaspésie. Comme «un petit musée de la vie d'autrefois», Anne Vallières relate qu’un ensemble de sept bâtiments (maison, grange, hangar à poisson et à bois) raconte l’histoire des communautés éloignées qui ont habité en bord de mer avant la nationalisation du parc à Forillon.
Comment déterminer l’intervention appropriée?
La première étape selon Anne Vallières est d’acquérir une bonne connaissance du cadre bâti sur lequel on intervient. C’est le rôle des professionnels de l’aménagement et du design qui peuvent ainsi mettre en valeur la matière première qu’est le bâtiment patrimonial.
«Il faut comprendre le potentiel du bâtiment devant nous», explique Anne Vallières «Il y a pas de recette.»
Le succès d’un projet patrimonial dépend de nombreux facteurs et d’une suite de décisions cohérentes, prisent au bon moment, tant au niveau des éléments à conserver, qu’à la programmation, ainsi qu’aux usages et à la manière de redonner à la collectivité.
STGM cite le cas du Manège militaire Voltigeurs de Québec, réalisé en consortium avec Architecture49 et DSF: «Pour la population, il s’agissait d’une façade simplement. D’un décor urbain. On ne savait pas à quoi ça servait ou ce qui s’y passait.» À la suite de consultations publiques pour la reconstruction, le propriétaire a décidé de modifier la fonction. Le bâtiment comporte maintenant une salle multifonctionnelle accessible, offrant une seconde vie à ce bien patrimonial.
Sur le plan de l'aménagement, la réhabilitation du Manège militaire a également permis de rétablir la volonté de l'architecte d’origine, Eugène-Étienne Taché.
«Dans le plan d’origine, c’était un bâtiment symétrique, avec la grande halle centrale et le musée d’un côté, ainsi qu’un autre volume en symétrie qui n’a jamais été construit. On a pu rétablir cette symétrie souhaitée avec l’ajout d’un nouveau volume contemporain. Avec ses matériaux de même nature, traités de manière contemporaine, la nouvelle aile s’agence bien au tout», dit Anne Vallières.
Approche globale et intégrée
Une signalétique cohérente dans l’espace s’avère tout aussi essentielle pour commémorer l’historique des lieux et créer une expérience riche. La signalétique conçue pour le Manège militaire contribue à l’appropriation du lieu par le public.
«L’expérience de l’utilisateur, sa capacité à se retrouver grâce à la signalétique intégrée d’un lieu et à la nomenclature des espaces contribuent à la mise en valeur d’un bâtiment patrimonial», explique Elsa Vincent, directrice de IDEA, et designer associée de STGM
Le design graphique et intérieur joue un rôle crucial dans la transformation du patrimoine.
«Dans un contexte patrimonial, l’intervention du designer doit être empreinte de sensibilité et d’une grande humilité. Le choix des colorations, des éclairages, des matériaux notamment, aura un fort impact sur la mise en valeur des artefacts. Il est essentiel de réfléchir à chaque détail, comme l’intégration des différentes textures, des matériaux et du nouveau mobilier», indique Elsa Vincent. «Pour laisser intacts certains murs de pierres par exemple, il arrive fréquemment qu’on ne puisse pas s’ancrer dans les murs. On doit trouver des solutions pour faire flotter les nouveaux éléments dans l’espace.»
Si sensibilité, humilité et créativité sont les mots d’ordre des designers en contexte patrimonial, c’est avec une approche globale et intégrée qu’on peut transformer des espaces de façon intelligente et intéressante pour continuer de bénéficier de leur riche singularité à travers les générations.
Photo de couverture: Manège militaire Voltigeurs de Québec, photographié par Stéphane Groleau.