Le recyclage peut prendre des allures de résolution de problème. Par exemple, le mobilier conçu par l’OBNL montréalais Bois Public poursuit l’objectif clair de revaloriser le bois de frêne abattu par les municipalités en lui offrant une utilité et en le redonnant à la communauté.
«Chaque personne qui se procure une planche de bois ou un mobilier chez Bois Public quitte avec une partie de l’histoire de Montréal et prend part du même coup à sa transition écologique», explique la directrice générale Marie-Ève Dontigny.
«Le upcycling, c’est une intervention humaine réfléchie. C’est retravailler le désuet et le revaloriser en nouvelle création.» -Philippe Charlebois Gomez
L’organisme fondé par Ronald Jean-Gilles en 2016 façonne désormais des bancs, des bacs à fleurs et des tables, mais également des rangements et des étagères, tout en donnant une deuxième chance à des individus en réinsertion sociale pour la fabrication. Cette formule qui allie design écologique et développement social ajoute une valeur supplémentaire aux objets, en plus de bâtir de véritables ponts entre le produit, ses concepteurs et ses utilisateurs.
Surcyclage et gain de créativité
La récupération force les designers à innover, à envisager la matière sous un nouveau jour, et c’est exactement le défi qui motive le fondateur du Studio Botté, Philippe Charlebois Gomez. Le designer créé des luminaires à partir de ventilateurs, de stores ou d’autres objets inusités qu’il retrouve bien souvent abandonnés sur les trottoirs montréalais.
«Je me sens choyé que cela m'inspire, et que nous puissions, par l'entremise de notre savoir-faire, étirer la vie de certaines matières», dit-il. Certaines personnes lui envoient des photos d’objets dont elles veulent se débarrasser, ou parfois ce sont ses clients qui lui soumettent une idée, un objet auquel redonner vie. «Dans tous les cas, nous prenons toujours le temps d'inspecter la matière afin d'assurer son intégrité et sa qualité.»
Détourner un objet pour lui offrir un nouvel usage, c’est ce qu’on appelle le surcyclage, même si Philippe Charlebois Gomez lui préfère son intitulé anglais upcycling qui, avec son préfixe -up, connote plus intuitivement un rehaussement, une amélioration qu’il recherche sans cesse. Ce qui pour le commun des mortels semble être un déchet sur le bord du chemin peut s’avérer être un trésor pour le créateur de luminaire.
«Le upcycling, c’est une intervention humaine réfléchie. C’est retravailler le désuet et le revaloriser en nouvelle création, c’est exploiter le potentiel existant d'une matière récupérée pour son état formel, sa structure, tout en utilisant moins d'énergie pour lui faire gagner en valeur», dit Philippe Charlebois Gomez.
À travers ce procédé de réemploi, il confie avoir l'impression de se situer à la frontière entre le design industriel et l’artisanat. Il aime d’ailleurs qualifier ses produits finis d'«œuvres fonctionnelles», toutes uniques.
La matière première ne se trouve plus dans la terre
Dévoiler le potentiel d’une ressource sous-estimée, c’est également ce que fait l’entreprise basée à Vancouver ChopValue. Des baguettes [chopsticks] usagées et destinées à la poubelle sont désormais converties en objets utilitaires: planche à fromage, étagère, tablette, décoration murale, support pour téléphone ou encore jeu de domino… C’est avant tout le gaspillage, le déboisement et leurs impacts néfastes sur l’environnement qui a motivé le projet britanno-colombien.
«Nous souhaitons prouver que des arbres ou des matériaux vierges n'ont pas besoin d'être coupés ou extraits pour fabriquer de beaux objets et meubles durables», souligne la responsable du marketing Alison Lee.
Si la tendance du recyclage en design s’accélère, compte tenu de l’urgence climatique, elle n’est pas neuve pour autant. Produits Re-Plast œuvre depuis 1989 à transformer des plastiques recyclés postconsommation et postindustriel en mobilier urbain et en planchers pour patios qui séduisent par leur aspect intemporel, responsable et ne requièrent pas d’entretien. L’entreprise québécoise qui a récemment célébré ses 30 ans ne s'essouffle pas, bien au contraire: «on recycle davantage chaque année», relève son directeur général Marc Francœur. Un enjeu rencontré par son équipe, mais qui s’améliore toutefois, demeure celui d’obtenir des matières non mélangées avec du carton ou du métal.
Des pièces uniques inspirées de mobilier iconique
L’ébéniste et designer Steve Anderson, fondateur de Relove basée à Halifax, remarque une plus grande acceptation des nuances et textures du bois usagé et une conscience accrue concernant le gaspillage.
«Et c’est une chance de participer à changer la mentalité du “acheter neuf”, concède-t-il. En plus, il y a une valeur inhérente au fait qu’il n'y a pas deux pièces identiques.» L’esthétique des meubles qu’il retape est à la fois moderne tout en s’inspirant des classiques vintage, et ce, sans jamais aucune perte. «De petits morceaux de bois sont brûlés comme combustible et même la sciure de bois est compostée», ajoute-t-il.
Relation nouvelle avec la matière
Finalement, de cette contrainte du recyclage - ou du surcyclage - naissent des meubles originaux, porteurs d’histoires, de leur parcours riche, mais aussi d’un engagement écologique assumé. Pour la plupart des artisans questionnés, il s’agit de développer une nouvelle relation avec des matériaux usés et de trouver quelles seront leurs nouvelles identités.
«C’est aussi avoir la conscience tranquille, c’est savoir qu'il n'y a pas un produit de plus qui a été ajouté dans ce monde déjà surpeuplé d'objets. De savoir que nos actions et nos choix responsables font partie d'un plus grand effort collectif», se réjouit le fondateur du Studio Botté.
L’écoconception se taille de plus en plus une place en design. Marc Francœur est enthousiaste à l’idée de voir la relève en écodesign prendre sa place et expérimenter le recyclage à travers toutes ses possibilités.
«La nouvelle génération de designers-fabricants a été élevée avec le recyclage, il y a donc beaucoup moins de formation à faire, c’est ancré. Quand on voit les gains qu’on a faits au niveau écologique, l’important c’est de continuer», dit Marc Francœur.
À l’heure où la pandémie a fait grimper l’utilisation du plastique à usage unique, la créativité au service de la réduction doit être encouragée plus que jamais.
Photo de couverture: décor de La Tour avec luminaire Botté