ID/ Si vous deviez définir l’intemporalité, comment le feriez-vous ?
CC/ C’est quelque chose qui guide nos projets. Même si ce n’est qu’à moitié assumée, l’idée de pérennité est toujours bien présente. Est-ce que nos projets vont être encore là dans 20 ans ? Seront-ils toujours d’actualité ?
KB/ On essaie de créer des expériences singulières à travers nos projets. Chacun d’eux possède une histoire qui lui est propre. C’est peut-être ça aussi l’intemporalité ? Éviter les gestes gratuits qui se rattachent à des thèmes et des symboles particulièrement populaires. Éviter de bâtir des projets dépourvus de sens.
ADB/ Si on regarde l’ensemble de nos projets, il y a une poétique de l’ordinaire. On y remarque le côté artisanal de la chose au niveau de l’architecture, des détails et de la matière. On pourrait croire que l’intemporalité c’est d’assumer la noblesse des matériaux comme on le fait, mais comme le dit Aldo Rossi, la matière change comme l’usage change également…c'est trop restrictif de baser une architecture uniquement sur l’usager et la matière. Ce sont les espaces ou les phénomènes qui perdurent dans le temps.
CC/ Donc l’intemporalité c’est une expérience, c’est ce que l’on vit. L’usager va changer et les matériaux vont certainement évoluer, mais les volumes et l’expérience ressentie restent les mêmes.
ID/ De quelle façon l’intemporalité vient-elle nourrir vos réflexions ?
KB/ C’est important de ne pas avoir de réponse à cette question pour que nous puissions se la poser à perpétuité. Si on avait une réponse, on aurait nécessairement une formule qu’on répèterait d’un projet à l’autre. Chaque membre de l’équipe arrive avec son bagage émotionnel, ce qui fait que nos échanges sont souvent mouvementés, parfois même contradictoires, mais ces discussions créent des projets comme ceux que nous faisons. Le projet devient alors une accumulation de tension. C’est une réponse vague, mais je crois que c’est ce côté vague et ambigu qui est important.
ADB/ Il faut toujours s’infliger ce mal nécessaire qui est le doute. On a tous des ancrages différents, et quand on discute on brise les préjugés. Comme le dit Kevin, c’est un sport de combat, mais je pense que le contradictoire aide justement à éviter de se retrouver avec une formule.
CC/ C’est une remise en question nécessaire, mais c’est aussi pour ces raisons qu’on ne peut pas définir clairement qu’est-ce qu’une architecture intemporelle. Quand on regarde des projets d’il y a 50 ans qu’on admire aujourd’hui, on se questionne sur les raisons pour lesquelles on les apprécie encore. Est-ce vraiment ce que le concepteur voulait faire ? Il y a une certaine magie qui s’opère à s’enthousiasmer devant ces projets de l’époque.
ID/ Comment s’inspirer des autres sans tomber dans les tendances ?
CC/ Il y a toujours ce désir d’aller à l’encontre du formatage. On se nourrit de références actuelles et non actuelles. Il y a toujours un questionnement à savoir si on dépasse la ligne, si nos projets vont perdurer ou si on touche trop aux tendances. Ces réflexions entraînent une certaine prise de risque pour rester dans un classicisme. C’est une neutralité qui n’est pas si facile à réaliser.
KB/ Les références peuvent se trouver partout, on essaie d’éviter de s’ancrer dans les détails architecturaux, autrement ce serait trop facile de répéter ce précédent. Il est possible de s’inspirer d’un livre, d’une peinture, ou même d’une selle Hermès. Encore une fois, on recherche l’expérience. Je vais puiser dans mes souvenirs les projets qui m’ont bouleversés, et c’est ce sentiment qui va m’inspirer plutôt qu’une époque ou une personne en particulier.
CC/ Je ne comprends toujours pas pourquoi j’ai été aussi touchée par la maison de verre de Pierre Chareau. Je pense que c’est la démarche de l’architecte, la démarche avant d’arriver au résultat, cette complicité avec le client. C’est ce qui l’a mené à faire ce lieu, plutôt qu’un détail en particulier.
ADB/ Il faut être assez large par rapport à ses émotions. Il faut d’abord les vivre, les accepter, puis les comprendre pour ensuite se demander comment les communiquer. C’est un melting-pot de sensibilité. Ce rayon de soleil parfaitement orienté, ou ce vertige qui s’opère dans telle ou telle pièce, il faut avoir un vocabulaire émotionnel. S’il y a quelque chose qui peut définir l’équipe, c’est ça ; nous sommes tous sensibles, c’est le point d’ancrage commun.
ID/ Comment encourager les clients à opter pour une architecture intemporelle ?
ADB/ On a beaucoup de chance, on travaille avec des gens ouverts d’esprits qui nous font confiance. Entre le monde métaphysique des idées et celui de la réalité physique, il y a deux univers. La plupart des clients viennent avec des idées préconçues et on arrive à leur présenter une réalité alternative.
ADB/CC/KB Dans un environnement saturé d’images et de références, il y a un transfert à faire pour ne plus associer ses références à ce que nous sommes. Des fois les clients ne comprennent pas leur propre réalité de famille. On doit alors prendre le temps de dialoguer avec eux pour mieux les comprendre.
C’est toujours la difficulté et le danger. Nous vivons dans un monde où tout doit aller très vite, ce qui fait en sorte que l’on doit souvent expliquer que le temps est nécessaire à la création. Particulièrement dans les projets résidentiels ; c’est très personnel, il y a beaucoup d’émotion. Tout ce temps de discussion, tout ce temps de réflexion n’est pas compressible.
Puis, il y a une sorte de fierté à embarquer un client dans quelque chose dans lequel il ne serait pas allé de lui-même. On prend des risques, mais les clients aussi en prennent.
--
Photo de couverture : Équipe Atelier Barda composée de Kevin Botchar (directeur, architecte OAQ), Thomas Guilhen (M. arch), Cécile Combelle (cofondatrice, M. arch), Antonio Di Bacco, (cofondateur, architecte OAQ, MAAPPQ), Kim Sansregret (stagiaire en architecture), François Olivier-Gouriou (chargé des communications) Absents sur la photo: Basile Van Laer (stagiaire en architecture), Fabrice Doutriaux (B.A, T.P. arch) et Maison Gauthier par Maxime Desbiens.