La raison d’être des villes n’a pas changé depuis des siècles – la fonction première d’une ville est de rassembler les gens. Cependant, la quête d’espaces privés spacieux et l’essor des véhicules automobiles nous a privés de certains éléments qui rendaient autrefois la vie urbaine plus agréable. Considérant que plus de 75 % de la population mondiale devrait résider dans les villes au cours des 30 prochaines années, il est plus important que jamais d’investir dans la forme urbaine, et ce, plus particulièrement dans les villes de l’hémisphère nord. Il y a donc lieu de se demander à quoi ressemblera une ville nordique bien conçue dans l’avenir ?
Afin de rendre nos constructions actuelles et futures plus agréables à habiter, les villes doivent prendre en considération d’importants principes de résilience climatique tant en matière d’environnement bâti que de confort urbain. Ce besoin est d’autant plus criant dans les pays nordiques comme le Canada. La forme urbaine canadienne devrait intégrer et refléter nos comportements, de même que nos désirs et nos besoins tout au long des quatre saisons.
En tant que designer urbain, je considère qu’il est important de créer des espaces généreux et de qualité pour que les gens puissent grandir et s’épanouir dans leur propre contexte urbain. Le design urbain doit être le catalyseur d’un changement positif pour nous permettre de concevoir des villes où il fait bon vivre à l’année.
Le rôle de la forme urbaine dans le sentiment d’habitabilité
En partant d’une base de référence, la forme urbaine se définit essentiellement par la relation entre le réseau de rues, les espaces publics verts et l’environnement bâti. L’échelle, la nature et le rythme de ces trois éléments composent toute forme urbaine donnée – et leurs combinaisons sont pratiquement infinies.
Lorsque nous parlons d’habitabilité dans la forme urbaine, nous parlons du bien-être équitable, physique et mental des gens qui vivent dans les villes. La forme urbaine peut favoriser l’habitabilité qui, à son tour, affecte la vie quotidienne de ceux qui y vivent, en déterminant des facteurs comme la nature et la longueur de nos déplacements ainsi que l’espace que nous occupons. Cette forme urbaine raconte également une histoire – un récit partagé par les habitants d’une ville et forgé au fil du temps par ses matériaux et ses technologies – qui traduit les principales aspirations sociales et individuelles des villes.
L’habitabilité malgré les variations saisonnières extrêmes
La conception de villes nordiques exige que les urbanistes tiennent compte des fluctuations extrêmes de température en misant sur une conception urbaine résiliente face au climat. Comment le design peut-il inciter les gens à renouer avec l’extérieur, sans se réfugier dans leur voiture durant les mois les plus froids ? Le confort urbain se présente de manière très différente en hiver et en été ; comment un même lieu peut-il être utilisable par des températures de 30 °C au-dessus ou au-dessous de zéro ?
En raison des hivers rigoureux, il peut être extrêmement difficile d’encourager les gens à sortir et à s’engager dans la ville pendant les mois les plus froids, mais l’urbanisme et le design adaptatifs peuvent jouer un rôle central en tenant compte de divers éléments, notamment le froid, le vent, la lumière et la matérialité, afin de rendre plus agréable le fait de passer du temps à l’extérieur en hiver :
- Concevoir des espaces publics adaptés à l’hiver. Ces espaces favorisent l’apport de lumière et l’ensoleillement à l’échelle du piéton, des trottoirs avec des arbres pour couper le vent et de l’espace pour les bancs de neige, tout en minimisant les turbulences du vent et des couloirs avec des reculs et des alignements appropriés.
- Chaleur et lumière. La présence de centres de réchauffement, d’abris fermés, de pare-vent et de foyers dans les espaces publics de la ville permet non seulement aux citadins de se réchauffer, mais aussi de fournir une source de chaleur à nos concitoyens sans abri et d’éclairer les nuits sombres et enneigées.
- Des réseaux d’espaces et de sentiers pour l’activité physique en hiver. Les espaces verts peuvent être reliés par des réseaux complexes de pistes blanches et de corridors biodiversifiés, des sentiers qui peuvent faciliter la pratique du ski de fond ou de la raquette. La création de patinoires permet également d’encourager l’activité en plein air pendant les mois de neige et de glace.
- Diversifier les formes. Une diversité d’utilisations des espaces situés à proximité des destinations de plein air, comme les cafés, les bibliothèques et les arénas, peut faire en sorte qu’il y ait davantage de lieux publics pour se réchauffer.
- Matérialité. L’utilisation du bois et d’une palette de couleurs chaudes pour entretenir une sensation de chaleur et de convivialité.
- Des réseaux souterrains accessibles. Il est important de créer et de soutenir des réseaux souterrains, que ce soit pour la marche ou les transports publics, afin de pouvoir se déplacer facilement dans la ville, quelles que soient les conditions météorologiques.
En revanche, les mois d’été posent un tout autre défi aux formes et aux expressions urbaines de nos villes. Encore ici, le design peut contribuer à atténuer l’effet des extrêmes de températures en offrant des espaces qui permettent de profiter de l’extérieur pendant les journées chaudes. Ce défi devient de plus en plus pertinent avec les changements climatiques qui ont fait grimper les températures au cours de la dernière décennie. La création d’espaces urbains extérieurs bien conçus est particulièrement importante pendant les chauds mois d’été, alors que certains citadins n’ont pas forcément accès à la climatisation ou à des plans d’eau pour se rafraîchir. Voici quelques idées clés de conceptions qui peuvent contribuer à rendre les villes plus habitables pendant les mois les plus chauds :
- Fournir plus d’ombre. Cela peut être fait avec de la verdure comme des arbres ou à l’aide de structures construites comme des auvents et des abris tempérés. L’ombre est essentielle au confort des personnes à l’extérieur pendant les mois les plus chauds.
- Assurer la porosité des îlots et des trames urbaines. Il s’agit essentiellement de favoriser la ventilation naturelle des cours et des rues.
- Concevoir des rez-de-chaussée articulés. Il est important de concevoir des édifices à échelle humaine et de s’assurer que le rez-de-chaussée d’un bâtiment offre des aires de repos et une protection contre la chaleur du soleil.
- Éclaircir la couleur des surfaces. Le simple fait de modifier la couleur de divers éléments de conception comme les bancs, les allées et les routes peut contribuer à diminuer l’absorption de chaleur des surfaces sombres.
- Offrir plus d’eau. L’ajout de points d’eau en milieu urbain peut aider les citadins à se rafraîchir. On pense ici à des jets d’eau, des pataugeoires et des fontaines.
Une conception de qualité est possible dès maintenant
Les hivers et les étés canadiens présentent leurs défis respectifs en matière de conception, des enjeux qui doivent être abordés par le biais d’une approche de conception globale. Le fait de donner la priorité aux conceptions urbaines résilientes au climat nous permettra de créer des villes plus agréables à habiter.
Les agglomérations urbaines sont en constante évolution et se renouvellent sans cesse. Nous devons réfléchir aux erreurs du passé et avoir le courage de remodeler nos villes pour répondre aux besoins futurs en adoptant une approche résiliente au climat. En valorisant et en célébrant les qualités de nos villes dans une optique raisonnable, tout en restant ouvert à l’idée de repenser les éléments actuels, nous pouvons envisager la conception de villes meilleures pour les générations futures – ce qui inclut le fait de rendre nos villes nordiques plus habitables et agréables à vivre tout au long des quatre saisons.
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Un texte d'Audrey Girard
Audrey Girard est responsable d'importants projets d'aménagement pour des clients institutionnels, privés et municipaux. Elle excelle à la conception de milieux bâtis novateurs, réalise des plans directeurs d’aménagement et accompagne régulièrement architectes, promoteurs et institutions publiques dans les processus de conception et d’approbation de projet. Elle communique habilement les idées par la production, la supervision et la présentation de contenus écrits et visuels intégrateurs. Son expérience professionnelle est riche et diversifiée. Au sein d’équipes multidisciplinaires, elle participe notamment à la reconversion de l’autoroute Bonaventure à l’entrée du centre-ville de Montréal et au Plan directeur des Bassins du Havre, qui reçoit une mention d’honneur au prix d’excellence de l’institut canadien des urbanistes, catégorie design urbain. Plus récemment, elle est chargée de discipline en design urbain pour le Plan directeur de la Cité administrative (Prix national de planification de l’AAPQ, 2016) et de la Place Vauquelin dans le Vieux-Montréal (Prix national de design urbain de l’IRAC 2018).