Avant d’entrer dans la salle d’exposition principale, une annexe présente le résultat de l’atelier donné par Jacques Ferrier en mai dernier aux étudiants de l’UQAM. M. Ferrier leur a offert d’interpréter les seuils entre les zones protégées et celles à ciel ouvert du centre-ville de Montréal. «Ce qui nous a inspirés, c’est cette singularité de Montréal d’avoir le plus grand réseau urbain souterrain au monde, qui est lié à la question du climat, une question qui nous passionne et nous intrigue», dévoile-t-il. Plusieurs expériences de la ville sont ainsi présentées sous forme de maquettes qui nous permettent d’entrevoir comment ces atmosphères intermédiaires citadines pourraient être révélées.
L’écoresponsabilité comme socle
Pour FMS, la prise en compte des questions environnementales et des climats est un prérequis technique incontournable. Dès 1991, lorsqu’est fondée l’agence Jacques Ferrier Architectures, la préservation de l’écosystème devient la toile de fond de l’architecte. «Il y a dix ans, ce n’était pas encore dans tous les esprits [...] C’était insolite parce qu’il y a eu et il y a toujours une apparente contradiction entre la logique économique et la crise climatique. Désormais, cette logique environnementale se met en place à grande vitesse grâce notamment à la mobilisation des populations», analyse M. Ferrier. Pour appuyer son engagement et ses recherches, l’agence est membre du Sustainable Development Solutions Network, un organisme mis en place par les Nations Unies.
«Aujourd’hui, la planète, c’est une donnée d’entrée, relève Pauline Marchetti. Les architectes sont en partie responsables d’un des plus grands phénomènes altérant la planète qui est les villes, donc la ville doit être la solution.»
L’humain, l’environnement bâti et le vécu
La visite de l’exposition débute par un prototype à l’échelle 1 d’un morceau de surface en verre photovoltaïque du premier bâtiment français à énergie positive, certifié depuis quelques jours Passive House. Cet objet à la fois tangible, poétique, durable et novateur illustre la démarche du studio. L’exposition se poursuit avec diverses maquettes de leurs projets, projections vidéo et curations de quelques recherches qui occupent la firme.
«On voit souvent l’architecte comme quelqu’un qui travaille à l’aboutissement du bâtiment, à la concrétisation d’un objet, alors que notre travail se situe beaucoup dans la réflexion et la recherche de la meilleure ambiance, la meilleure expérience, le meilleur vécu pour les utilisateurs, commente Mme Marchetti. Ce temps de travail n’est pas toujours vu, compris ou respecté. Or il est extrêmement important pour qu’on soit à la hauteur des enjeux.»
La résonance - l’un de leurs principes directeurs et thème central de cette exposition - se consacre aux relations significatives entre les personnes, les lieux et l'histoire. «L’architecture moderne contemporaine s’est petit à petit concentrée sur la fabrication d’objets qui peuvent être splendides, mais qui suscitent moins de liens et d’interactions, considère Pauline Marchetti. On pense beaucoup à la relation avec la planète à travers le développement durable, mais il y a aussi la relation des hommes et des femmes avec le quotidien, et ça nous tient beaucoup à coeur cette résonance avec l’esprit du lieu.»
FMS cherche à interconnecter avec cohérence les humains et les architectures à travers une prise en compte de la culture et du contexte. «Un bâtiment imaginé pour Montréal ne sera jamais la copie d’un bâtiment qu’on ferait à Paris», assure Jacques Ferrier.
Cette influence peut aussi émaner du patrimoine local. Par exemple, la structure du Siège de la Métropole Rouen Normandie, constituée de plaques de verres légèrement colorés [dont le prototype inaugure l’exposition] vient subtilement rappeler l’oeuvre impressionniste du peintre Claude Monet, qui a peint plus de 30 fois la cathédrale de la ville au 19e siècle. L’édifice vient ainsi résonner pour le futur de la planète en ne polluant pas, mais porte aussi en lui la sensibilité du passé et des symboles humains.
Sensualité urbaine
En plus de percevoir les métropoles comme les clefs de voute des bouleversements en matière de durabilité, les architectes n’hésitent pas à revendiquer le concept de «ville sensuelle» depuis 2008, faisant référence aux 5 sens éprouvés par les humains.
«Le mot sensuel a été choisi volontairement parce qu’il embarque une part de mystère avec lui, il interroge, et la question qui se pose aujourd’hui c’est: comment rendre l’autre actif? Comment rendre actifs la société et les habitants d’un bâtiment pour qu’ils ne se sentent pas déposséder de leurs moyens? explique Mme Marchetti. Cette idée forte dirige nos recherches depuis 10 ans. L’instinct, les sensations et les émotions ont été maltraités et doivent redevenir des raisons d’être de notre métier.» Selon les architectes, les citoyens doivent également devenir les acteurs de la transformation écologique et s’approprier ses caractéristiques.
L’exemple offert ici est celui du lycée français international de Pékin, construit en 2016. La commande était de concevoir une image unitaire, symbolique, et les architectes ont réussi à y intégrer une succession d’ambiances vécues avec des cours de formes diverses pour s’adapter à l’évolution des utilisateurs de cette école; des jeunes de 3 à 18 ans.
Montréal, berceau de dualités
À noter qu’il s’agit de la toute première exposition de FMS en Amérique du Nord. «Nous avons eu un coup de foudre pour l’ambiance de la ville, confie Jacques Ferrier. Il y a une telle énergie. On aime créer des espaces entre le climat et l’architecture, le dehors et le dedans, et avec Montréal ça s’applique pas mal! Historiquement et urbainement, elle dispose de deux cultures; celle de l’ancien et du nouveau monde, elle est située entre eau et terre, elle dispose de deux langues, même dans son architecture.»
Le duo perçoit cet «entre-deux» montréalais comme étant une ouverture pour façonner une ville tournée vers l’avenir.
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Propos recueillis par Claire-Marine Beha.
Crédit photo couverture: Pauline Marchetti