Claude Le Bel : « Il y a un incroyable éventail d’applications possibles pour les structures textiles »

Conversation avec Claude Le Bel, fondateur et président de Sollertia, sur l’architecture textile, une innovation architecturale sous-exploitée.

ID/ Qu’est-ce que l’architecture textile?

L’architecture textile, c’est la mise en œuvre de membranes techniques tendues sur des structures légères d’acier ou de bois, pour la réalisation de systèmes constructifs légers. Il y a vraiment un incroyable éventail d’applications possibles pour les structures textiles, autant en intérieur qu’en extérieur, et les membranes peuvent aussi avoir d’autres propriétés intéressantes, notamment acoustiques, ou encore bioclimatiques, ces dernières pouvant être utilisées en façade pour empêcher l’éblouissement ou pour optimiser le contrôle de la température à l’intérieur des bâtiments, dans une perspective d’économie d’énergie. La plus grande qualité des structures textiles tendues est sans conteste sa légèreté, ce qui en fait un important allié en termes de développement durable, si l’on tient compte de l’économie non-négligeable de matériaux que cela représente. Par exemple, si on avait construit les parois du Biodôme en matériaux traditionnels, cela aurait impliqué beaucoup plus de matière que la mise en œuvre d'un système de membrane tendue. Un autre avantage de la membrane est l’incroyable liberté qu’elle offre aux créateurs au niveau des formes; autant on peut en faire des formes simples, des surfaces impeccables, lisses et épurées, autant on peut se laisser aller avec des gestes organiques, des formes courbées dans toutes les directions.

ID/ Selon vous, pourquoi l’architecture textile est-elle sous-exploitée au Canada?

Je pense qu’elle est sous-exploitée par méconnaissance, tout simplement. On a la fausse impression que les structures de membrane ne sont utiles que pour les constructions temporaires – pensons aux abris Tempo, aux bâtiments agricoles, qui sont des exemples de structures de membrane dont l’application est par ailleurs parfaitement valable et économique – mais les possibilités sont bien plus vastes que ça. Comme tous les autres matériaux, la membrane technique comporte des avantages et des désavantages dont il faut tenir compte lorsqu’on choisit nos matériaux de construction. Or, les propriétés des membranes techniques ne sont pas assez connues, et je crois que ses applications ne sont malheureusement pas suffisamment enseignées dans nos écoles et universités. Il y a aussi la question de la mauvaise perception, que c’est « économique » dans le mauvais sens du terme – les gens ont l’image d’une tente de camping, qui est beaucoup plus abordable qu’une roulotte – mais dans les faits, il s’agit vraiment juste d’un autre type de matériau, avec ses propriétés uniques. De nos jours, les membranes techniques ont vraiment une immense résistance aux charges, et au moment de faire nos concepts, nous sommes beaucoup moins limités par la membrane elle-même que par les structures, les ancrages et les fondations. Je crois qu’il y a une perception erronée que l’architecture textile n’est pas adaptée à notre climat, notamment à cause des accumulations de neige, mais pour nous ce n’est pas un problème. On fait des dômes gonflables pour couvrir des terrains de football en hiver, et ils sont justement conçus pour faire face au climat et à la neige, prouvant par le fait même que l’on peut ériger des bâtiments au complet en textile. Il suffit de pouvoir calculer les charges et de concevoir des structures qui ne retiennent pas la neige, en contrôlant la forme de la membrane pour que la neige glisse de la structure avant de pouvoir s’y accumuler.  Il s’agit donc d’un matériau qui gagnerait à être connu, mais qui requiert tout de même une expertise pour le travailler correctement, de sorte qu’il puisse faire face à notre climat particulier. Nous travaillons avec des logiciels spécialisés pour analyser les membranes, calculer les charges, travailler les bonnes formes de structures textiles afin que la neige glisse et soit rapidement évacuée de la membrane. Nous connaissons bien les propriétés mécaniques des matériaux composites souples et, dans les faits, on peut les utiliser pour en faire n’importe quoi.  Mais comme les propriétés de la membrane ne sont pas suffisamment enseignées ici, il est plutôt rare que les architectes et les ingénieurs aient le réflexe d’y avoir recours pour en faire une construction permanente, un toit, ou une façade. Cela dit, il y a tout de même plusieurs exemples d’utilisation de membrane technique au pays, dont le toit du B.C. Stadium, qui est en membrane rétractable. Là où elle est beaucoup utilisée dans le bâtiment, c’est pour les grandes structures, couvertures de scène, d’amphithéâtres, des couvertures de gradins, des installations sportives extérieures, des stades, bref là où on veut couvrir de grands espaces avec peu de matériaux.

ID/ Comment s’est déroulée votre collaboration avec le Biodôme?

Lorsque nous avons rencontré l’architecte, il s’est vite rendu compte qu’on avait une expertise dans un champ d’activité qui est encore hors-norme au Québec. Il nous a mis en contact avec le Biodôme, et suite à une série de rencontres où on a eu l’occasion de faire la démonstration de notre expertise, il s’est rapidement créé un lien de confiance. La première étape a donc vraiment été de créer et de travailler ce lien de confiance. On s’est vite retrouvés dans une équipe avec une mission extraordinaire, mais qui avait tout un défi à relever, et pas seulement au niveau visuel et technique. Nous sortions clairement de notre zone de confort, l’architecte aussi sortait de sa zone de confort, le client également. C’est surtout ça que je retiens, ce lien humain de confiance qui s’est créé à travers cette expérience commune.

Notre approche avec nos clients et dans le milieu est d’apporter un enseignement sur l’architecture textile afin de faire connaître les avantages multiples des structures textiles et qu’elles soient mises de l’avant dans le domaine de la construction. Nous croyons vraiment que ce type de système constructif léger offre des solutions durables et novatrices aux projets, notamment lorsqu’il est utilisé comme revêtement de façade, puisqu’il réduit de manière importante les besoins en climatisation et donc les coûts d’opération d’un immeuble, ou lorsqu’on se sert de membranes acoustiques, qui permettent de créer des lieux d’apaisement et de confort pour les usagers.

ID/ Quels ont été vos plus grands défis lors de la conception du Biodôme?

La mise en forme a vraiment représenté un gros défi, car il y avait des formes très précises à créer avec énormément d’obstacles à contourner – éléments architecturaux du bâtiment d’origine, éléments mécaniques nécessaires au fonctionnement du Biodôme, etc. L'un de nos premiers défis a été de réaliser une géométrie de membrane qui représente le plus fidèlement possible le concept d'origine des architectes. Les membranes à double courbure possèdent des formes naturelles qu'il est nécessaire de concevoir avec un logiciel spécialisé, nous avons donc réalisé une étude de recherche de forme qui répondrait aux besoins architecturaux, visuels et techniques. En fin de compte, on a vraiment réussi à se coller au design d’origine.

Un autre défi se trouvait au niveau des systèmes d’attache, parce qu’on n’avait pas accès à l’arrière des parois à plusieurs endroits, on ne pouvait que travailler en façade. Il a donc fallu développer un système d’attache et un système de structure universels, parce qu’il y avait tellement d’angles et de codes différents que si on ne standardisait pas le tout – avec des joints universels, des tasseaux ajustables réutilisables – le coût de produire autant de pièces uniques aurait vraiment été trop élevé. Les courbes sont donc toutes différentes, mais nous avons standardisé le plus possible tous les systèmes mécaniques, les façons de faire les mises en forme, ainsi que les systèmes de mise en tension. Nous avons même eu à concevoir des outils particuliers qui n’existaient même pas afin de pouvoir utiliser les profilés Facid que nous avions spécifiés pour les joints verticaux, puisqu’on prévoyait pour ceux-ci une utilisation totalement nouvelle.

Un autre défi a été la coordination avec tous les autres corps de métier dans la séquence d’installation afin de réaliser notre partie de l’œuvre, parce que nous, quand on monte un mur en textile, c’est beaucoup plus rapide qu’en construction traditionnelle.  Nous, la journée même où on arrive, le mur est fermé!  Il ne faut donc pas installer un mur dans l’entrée principale quand il y a le plombier qui doit encore rentrer tous ses tuyaux.  Ça change un peu les séquences, l’échéancier du chantier, et les autres corps de métier ne sont pas habitués à ça.  Un autre gros défi a aussi été la création des portes et des ouvertures dans des murs recourbés, ça a l’air très simple quand on voit le résultat final, mais ça a été tout un défi à réaliser de manière à ce qu’il n’y ait pas de plis ni d’imperfections, ce qui aurait vraiment nui à la pureté du design.

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Crédits photos : Olivier Le Bel, James Brittain et Sollertia.